Elodie Boutry

Élodie Boutry questionne et met en scène les relations entre peinture et espace, que ces espaces soient prédéterminés ou créés pour la circonstance. Son travail est « sous contraintes » : contraintes subies de l’architecture du lieu d’exposition ou contraintes auto-imposées dans le choix des couleurs, le plus souvent réduites à une stricte bichromie, ou dans la succession des rythmes et de leurs syncopes.

Quand elle intervient in situ, Élodie Boutry peint à l’acrylique, à même les parois, exploitant leurs irrégularités, leurs angles, niches, moulures, ouvertures, renfoncements et décrochements, pour générer de saisissants effets d’optique géo­métriques. Sa facture est volontairement neutre, sommaire, impersonnelle et distanciée, pour ne pas surcharger ou dévoyer le propos. Elle veut une lecture directe, sans affects ni effets superflus, de son entreprise de déstabilisation visuelle. La surprise est totale et ne doit rien aux ficelles du bel mestiere, à la facture.

Les propositions d’Élodie Boutry subvertissent le processus de la vision en provoquant la confusion entre le contenant et le contenu de la peinture, entre le sujet et le subjectile. Son travail, au caractère intrusif, invasif, presque viral, va bien au-delà de l’appropriation d’une architecture préexistante. Elle se l’approprie, la phagocyte, met en évidence les détails ou les particularités habituellement invisibles ou négligés, pour recréer un nouvel espace qui est tout aussi physique que mental.

Dans une nouvelle étape de ses travaux in situ, les formes murales simples et plates – rayures, cercles, points, grilles… – ont acquis une troisième dimension, devenant des excroissances qui perturbent et altèrent la vision de la surface du mur. Ambiguïté et incertitude perdurent, même après une longue observation : quelles sont les formes originelles et quelles sont celles ajoutées par l’artiste ? Où commence et s’arrête la surface picturale ? Quand le volume se fait-il surface, la surface volume ? Comment la peinture devient-elle architecture et l’architecture peinture ?

Plus récemment encore, Élodie Boutry a créé des œuvres qui s’affranchissent d’espaces préexistants, générant des architectures indépendantes, à dimension humaine. Tout se passe comme si les excroissances avaient pris leur indépendance, s’étaient détachées du mur pour devenir autonomes, auto-suffisantes. À la contrainte de l’architecture préexistante se substitue celle d’un rigoureux processus de genèse des formes, qui s’inspire de ceux de la biologie. L’intérieur est devenu extérieur, mais légèreté et efficacité restent de rigueur.

Dans tous les cas, le travail d’Élodie Boutry est éminemment musical, en ce qu’il est avant tout rythme, traduisant en ruptures picturales les syncopes musicales. On peut y lire des contrepoints, des modulations, des passages du majeur ou mineur, des tutti et des solos, des strettes et des développements, des thèmes initiaux qui restent présents à travers leurs innombrables variations et resurgissent au moment où l’on s’y attend le moins…

Louis Doucet
Extrait de SubjectilesIII - Avril 2011